Balade en Silvretta (2)

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Pour ceux qui ont loupé le premier épisode...


J'ai rédigé ce qui qui suit l'après-midi du Samedi 2 Avril 2005, sur une table, sur la terrasse du (de la ??) Wiesbadener Hütte à 2443 mètres d'altitude...

Samedi 2 Avril 2005 : Piz Buin

On bulle au soleil. Soleil d'avril qui réchauffe tout ce qu'il touche. Même ce qu'il ne touche pas. Les neurones. Grillés. Court-circuités. Bref, c'est le grand beau. En face de nous les sommets du massif de la Silvretta, les glaciers qui étincellent sous ce même soleil. Il est 16h22. Ça fait une paire d'heures que nous rôtissons ici. Moi et les 28 autres membres du CAI de Padoue. Je passe le temps en écrivant. Ces heures chaudes de la journée où il vaut mieux être au refuge que sur les pentes raides et enneigées, qui n'ont de cesse de décharger leur fardeau vers le bas, la pesanteur aidant...

Auparavant nous avons fait le Piz Buin, 3312 m. Réveil 5h00 ce matin, comme prévu. J'ai super bien dormi, pour une fois ! Je ne dors jamais très bien en refuge, d'habitude. Encore que je n'ai pas une très grande habitude de cette chose non plus. Merci les boules Quiès ! 5h00. À peine ouvert un oeil, je suis déjà debout (si ça pouvait être aussi rapide en semaine !!). Première étape : recouvrir de sparadraps la plante des pieds qui a souffert de réchauffements inconsidérés lors de la montée au refuge hier. Puis je m'habille. Et fin prêt, je descends avec le sac à dos. Je traverse un dortoir où une trentaine de personne à peine réveillées s'agitent frénétiquement ! L'étape suivante est de sortir dans la fraîcheur matutinale récupérer mes skis pour y coller les peaux. Après quoi, p'tit déj'. Puis départ. Enfin, doucement, quand même : bouger un tel groupe entraîne forcément une certaine inertie. Nous levons le camp vers 6h18. Le jour se lève à peine. Je me pose dans la trace, je suis les skis de mon prédécesseur, en m'efforçant de ne pas lui "marcher" dessus. Et voilà. Ça va très doucement. Nous sommes dans une longue file ininterrompue de randonneurs... Je me laisse porter. Le vent me rabote le visage, il est glacial. Et le croissant de Lune nous fait quelques clins d'oeil, au ras d'un col, là-bas, droit devant. Je ne sais pas combien nous sommes à suivre cette trace à la queue leu leu. Une trentaine, une quarantaine, plus peut-être. Des italiens, une poignée de français - moi, c'est indéniable -, ci et là j'ai entendu parlé français, il y a au moins un petit groupe de briançonnais, et puis des allemands, des autrichiens. Le ski alpinisme est un sport de masse en Autriche. De fait, le refuge semble bien plein. Combien de personnes peut-il contenir ? Plus de cent. 150 ? 200 ? Une foule, en tout cas !

Je suis toujours sur les talons de la paire de ski qui me précéde dans la trace. Le pas est lent. C'est comme d'habitude : le pas est lent avec le CAI. Je me suis habitué, au fil des sorties. Éloge de la lenteur. J'en profite pour faire des photos. Aujourd'hui le temps est superbe, et l'ambiance "haute montagne" avec ses glaciers, s'y prête à merveille. Trois-quart d'heure après être partis du refuge, tandis que nous traversions le glacier sous une superbe barrière de séracs, le soleil s'est levé, illuminant un à un les sommets alentours. Quel spectacle ! Bientôt ce fut au tour des séracs qui nous dominent de scintiller dans la lueur solaire. Moi, je mitraille. C'est si beau, il faut absolument immortaliser tout ça ! Nous grimpons tranquillement un petit ressaut qui nous amène au-dessus des séracs. Je photographie aussi tranquillement. Je sais que j'ai le temps, je ne me presse pas. Pourtant je fais groupe avec Marco, que j'apprécie beaucoup, et qui avance plutôt bien. Enfin un groupe où je me sens bien, où je peux aller un peu plus à mon rythme. Dommage que ce soit quasiment la dernière sortie ! Là je fais des photos, ce qui ralentit un peu. Comme ça nous restons avec les autres.



Une superbe traversée du glacier nous attend, en plein soleil, jusqu'au col que nous ne franchirons pas - de l'autre côté, c'est la Suisse ; dans l'immédiat, nous sommes en Autriche -, c'est le point de départ des hostilités qui mènent au sommet. Enfin, hostilités, le mot est peut-être un peu fort, réjouissances, serait plus juste. En effet cette dernière partie, que l'on fera en crampons avec le piolet à la main, qui emprunte quelques petits couloirs bien raides, de neige et de rochers, s'avère en fait bien sympathique ! Les chefs installent une paire de cordes fixes. Pour la forme. Pour les rassurer eux. Pour la descente aussi, sait-on jamais. Il fait froid, un vent glacial brasse l'air ambiant. Et, petit à petit, malgré force attentes, à chaque palier, nous finissons par parvenir au sommet. Qui se trouve être déjà bien peuplé. Pourtant il n'est que 10h. Trois heures trente pour faire 900 mètres de dénivelés, c'est un véritable record de vitesse pour notre groupe que nous avons là !

Jeux d'ombres et de lumière...


Malheureusement, ce sommet s'oppose stupidement à toute manifestation de joie, expression extériorisée du bonheur d'être parvenu sur cette cîme. La célébration à l'italienne à coups de grandes accolades et de bravo! en prend un coup. Étroit, c'est le mot approprié. À peine un peu de place pour la croix, une belle et grosse croix en bois, toute givrée sous le vent. Je patiente le temps qu'une cordée germanophone s'évacue vers le bas. Et je peux enfin aller l'embrasser cette croix, comme le dicte la coutume de mon pays d'adoption. Mais déjà nous sommes trois, quatre, cinq... à nous presser autour, au-dessus de l'abîme. Faire gaffe de ne pas s'emmêler les crampons : une chute serait un raccourci direct pour le service des viandes froides chez Saint Pierre. On se prend en photo sur la crête étroite, effilée, qui s'étend derrière. Il faut avancer un peu dans la trace, garder le fil, ne pas trop regarder en bas, mais regarder où on met les pieds, puis, enfin, se retourner pour faire face à l'appareil, en prenant garde de garder l'équilibre et de ne pas faire de faux-mouvement ! Que ne ferait-on pas pour immortaliser notre bobine au-dessus des montagnes. Nous dominons l'horizon. Un horizon proprement dégagé. Ceci étant, en guise de bobine, avec les lunettes de soleil et la cagoule, ça pourrait tout aussi bien être l'homme invisible, en ce qui me concerne. M'enfin, moi, je sais que c'est moi. Eh, eh, eh !


La preuve en image !


Bon, il est temps de laisser la place. C'est que ça se bouscule au portillon. Les nouveaux arrivants veulent aussi leur place près de la croix. Je vais me nicher un peu plus bas. Manger un morceau, et patienter en attendant les retardataires. Le froid, induit par ce vent glacial qui fouette la montagne, fini par pénétrer, petit à petit, insidieusement, à travers chacune des diverses pelures qui me recouvre. Bref, je fini par me cailler. Heureusement nous levons le camp avant de se transformer en bâton glacé. Descente rapide, divertissante. Nouvel attente au col, en bas, le temps que la troupe se reforme. On y est à l'abri du vent. Tout baigne. Je prends le temps d'aller pisser de l'autre côté, derrière la frontière. En Suisse. Polluer la Suisse. Puis descente, sur le glacier, près de la trace de montée. Neige excellente, mais la faible pente s'oppose tout bonnement au moindre virage. Déception. On avait beau s'y attendre, le fait est là ! Nous passons par une belle zone crevassée avant d'aborder la rupture de pente génératrice des magnifiques séracs, que nous contournons comme à la montée. Sous les séracs nous nous arrêtons un moment : les chefs ont décidé de faire un exercice de récupérage du compagnon de cordée tombé dans une crevasse. En grandeur réelle. Très très instructif ! Lors de la précédente leçon théorique, sur les glaciers, ils nous avaient bien dit qu'il valait mieux ne pas s'arrêter sous des séracs... Mais entre la théorie et la pratique, y'a parfois un monde... Bref, une fois le cobaye dehors, nous reprenons la descente. Jusqu'en bas. Pour la peine, il faudra remonter un chouïa pour rejoindre le refuge. Une fois arrivé, j'attaque le sauciflard et le gros pain que j'ai monté la veille, dans mon sac à dos de trois étages. Et pour cause !


Traversée du glacier à la descente. Enfin, descente, c'est beaucoup dire !


J'ai passé l'après-midi à écrire, en pointillé, sous le regard amusé de mes amis. Et sous la chappe de plomb d'un soleil printanier. Mais comme pour se venger, dès qu'il disparaît brusquement derriere les montagnes, la température baisse subitement d'un nombre conséquent de degrés ! Je me translate donc vers l'intérieur. C'est bientôt l'heure de la soupe, de toute façon...

À suivre...

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