Tour du Mont Viso

Publié le par Guillaume

Mercredi 10 Août 2005

Départ de Gap aux aurores avec Anne et Étienne. Dans la voiture d'Étienne. C'est donc lui qui conduit. Direction le fin fond du Queyras. Le levant. Une heure et demi de route au bas mot. La Roche Écroulée. La route ne va pas plus loin. Le bout du monde ? Non, seulement le bout du Queyras. Au-delà, les montagnes. Le Viso. Nous chaussons nos godillots, enfilons le sac sur les épaules, et... c'est parti !


En route !


C'est d'abord un long « plat » mixte entre sentier longeant le torrent, le Guil, et route désaffectée. C'est long, mais les kilomètres se déroulent vite dans l'euphorie du départ. Au retour il en sera tout autrement ! La route s'arrête, définitivement cette fois, au Belvédère du Viso. C'est vrai que l'on commence déjà à voir cette pyramide incroyable qui s'impose majestueusement du haut de ses 3841 mètres sur les massifs environnants. Le chemin se poursuit dans les alpages, en direction du refuge du Viso que nous atteignons peu de temps après. Près du refuge, la cabane du berger. Des centaines de brebis fraîchement libérées de leur parc investissent les prairies d'altitude avec le flegme qui les caractérisent, sous l'œil vigilant du berger, et dans l'ombre du Viso. Le refuge, récemment refait à neuf, ressemble à un véritable bunker, la face tournée vers la montagne, comme si c'était de là que des hordes d'assaillants pourraient éventuellement surgir pour investir la place. À défaut de rudes guerriers, ce ne sont que quelques touristes, promeneurs et randonneurs qui flânent là en sirotant une boisson sur la terrasse bétonnée.


Sous l'œil du Viso.


Nous ne faisons une pause que le temps de jeter un œil sur la carte. Nous quittons le sentier principal, pour emprunter un itinéraire moins fréquenté, qui passe par le col du Couloir du Porc (je me demande vraiment d'où lui vient un nom pareil ??), plutôt que par le col de la Traversette, où passe le vrai tour du Viso. Tout de suite, le menu nous est présenté : ce sera des caillasses, des caillasses et encore des caillasses. Après avoir traversé un éboulis, nous débouchons sur un superbe petit lac, d'un bleu profond. Nous mangeons quelques barres et une poignée de fruits secs dans cet écrin coloré. Au-delà, la notion de sentier proprement dite s'évanouit dans les rochers. Seuls, ça et là, quelques cairns nous montrent le chemin. Nous pataugeons bientôt dans un éboulis, qui se rétrécit de plus en plus, pour se redresser en un étroit couloir. Un pas en avant, deux en arrière. Couloir qui conduit au col que nous devons traverser. À l'arrivée au col, un vent à décorner les bœufs nous accueille. En revanche, le panorama de l'autre côté, sur le versant italien est à peu près dégagé. C'est rare. Il y a trois ans exactement, j'avais fait la même chose avec ma sœur, et arrivé à ce même col, ce furent des volutes de brouillard qui nous accueillirent. La plaine du Pô est un infatigable générateur de nuages. Très souvent, du côté français, c'est le grand beau, tandis que l'italien baigne sous sa chappe nuageuse. Je profite donc de l'opportunité qui nous est donnée de contempler un peu le paysage italien.

Anne s'abrite derrière un petit muret, tandis qu'Étienne et moi allons faire un tour sur le sommet de la Pointe Udine, un petit « 3000 » tout proche. Des grimpeurs en gravissent la face la plus raide. Du sommet, outre du vent, nous découvrons le panorama du chemin qui nous attend, côté italien, entre le bleu des lacs, le vert des alpages et la grisaille de la rocaille... Et là, en se penchant un peu, on découvre le refuge Giacoletti, que l'on semble dominer à son exact aplomb. Le lieu offrant un accueil quelque peu glacial, nous ne nous attardons pas. Dans la descente, nous croisons un jeune bouquetin et sa mère qui gambadent dans les rochers escarpés, comme moi je gambade sur une pelouse. Retour au col, d'où nous amorçons la descente, raide, vers l'Italie. Passage par le refuge Giacoletti aperçu d'en haut, et nous poursuivons notre descente. Nous nous arrêtons dans la verdure, au-dessus des lacs, pour casser la croûte. Le lieu bucolique, le faible passage de randonneurs, et la digestion aidant, je pique un petit somme réparateur, en vrac, comme ça, dans l'herbe.

Nous poursuivons notre chemin, encore un lac, bleu turquoise, puis la dernière montée jusqu'au col du Viso, juste avant le refuge Quintino Sella, terme de la balade pour ce jour-là. Cette dernière montée se fait en croisant un nombre incalculable d'italiens - des dizaines -, qui descendent, parfois habillés comme à la ville, en petite tenue. Le contraste est saisissant avec la relative tranquilité sur les sentiers qui nous accompagnaient jusque-là. C'est donc amusés par ce rassemblement que nous grimpons le sentier, à coups de salve, ciao, buonasera pour saluer tout ce monde. À mi-pente, la pluie s'installe. C'est qu'elle mouille, la vilaine. Il nous faut sortir le matos adéquat. Anne et Étienne enfilent leur cape de pluie, moi la Gore-Tex, et une housse étanche pour le sac à dos. Nous croisons toujours la foule désormais bigarrée sous ses impers colorés, les uns amusés par la situation, les autres moins. Après la traversée d'un grand pierrier, nous arrivons en vue du grand lac du Viso, et donc du refuge. Là, une banderole nous informe qu'il y avait un concert de classique (I quattro stagioni de Vivaldi) en plein air, devant le refuge, à midi. D'où le monde qui redescendait. Dommage d'avoir loupé l'évènement, ça devait être sympa.

Une fois au refuge, nous pouvons quitter nos grosses pompes et les troquer avec les savates de rigueur. Nous annonçons notre arrivée au gardien. Et c'est farniente jusqu'à l'heure de la soupe, 19h. J'ai une faim de loup. À voir les plats qui transitent sur les tables voisines, je m'inquiète quelque peu sur la teneur du menu. Mais non, je l'aurais ma platrée de pâte à l'omelette ! Avec une bonne ration de pain, je sors de table à peu près calé. Petite soirée tranquille, et au lit à neuf heures et demi. Le temps, dehors, est maussade, et les prévisions pour le lendemain n'augurent rien de bon...


Mont Viso : Face Nord.


Jeudi 11 Août 2005

Je ne dors pas très bien, notre dortoir est grand, multipliant ainsi les bruits divers et variés de tous les dormeurs réunis là, sous les toits, au troisième étage. Je n'ose pas mettre mes boules quiès, de peur de ne pas entendre ma montre sonner à 3h45. Pour la peine, vers trois heures j'entends la première vague se lever, et se recoucher : y'a du il pleut ! et du piove! dans les chuchotements qui me parviennent. Merde. 3h45. Ma montre sonne. Sans bruit je me lève plein d'espoirs, je m'habille et descends jeter un œil sur le ciel (tout en vidant ma vessie, accessoirement). Ciel que je découvre constellé d'étoiles. Quel spectacle ! Il faut tenter le coup, et partir au plus vite. Je vais réveiller mes deux acolytes. La nouvelle se répand dans le dortoir et au-delà... Les quelques irréductibles qui prévoyaient de faire le sommet ce jour-là commencent à se lever à leur tour. Petit déjeuner frugal. À quatre heure et demi, nous partons avec entrain, sur le sentier du Viso, à la frontale. Devant nous, un groupe de français qui nous laisse mener la danse dès la première bifurcation du sentier. Ascension vers la brèche des Sagnettes. Une demi-heure après être partis, v'là qu'il se met à pleuvoir. Flûte. Nous nous abritons sous une anfractuosité de la paroi qui borde le sentier. Ça ne dure pas. Nous nous remettons en route. Bientôt, les choses sérieuses commencent. Passages rocheux escapés, un cable est là pour aider le promeneur. Mais la nuit accentue l'impression de vide, de raideur, de tout. Ceci étant, elle ne dure pas, la nuit, et déjà le jour pointe le bout de son nez. En arrivant au col, nous pouvons remiser la frontale dans le sac. Le temps n'est pas des plus beau. De lourds nuages noirs menacent pas très loin. Nous décidons, presque à l'unanimité (Anne serait bien retrounée au refuge se calfeutrer sous quelques couvertures) de continuer jusqu'au bivouac Andreotti, au pied de la voie normale. S'ensuit un parcours chaotique dans les pierres et les rochers. La pluie reprend. L'inquiétude d'Anne augmente d'un cran. Déjà que... Pas de sentier pour arriver au bivouac. Pas facile à trouver, la première fois, la bicoque, au milieu des cailloux, quand on ne sait pas où elle perche. Je reconnais la place. Il est là, là-haut, notre abri. Immanquable, une fois qu'on a l'œil dessus : vert et jaune, adossé à la paroi. Nous franchissons la porte tout dégoulinant. L'accueil est chaleureux. Les trois mètres carrés bien agencés. Six couchettes toutes proprettes, un intérieur bois, le portrait du sieur Andreotti, moustache, cravate, trône au milieu. Ça invite à s'installer. D'ailleurs nous nous installons un temps. Le temps de voir comment le temps évolut. Un petit carré de ciel s'offre au regard depuis le petit balcon. Et ce petit carré de ciel, à ce moment-là, était plutôt bleu. Bleu avec un peu de blanc qui défilait. Bref, pas de quoi faire peur.

Anne décide néanmoins de rester là, pendant qu'Étienne et moi allons voir plus haut, comment c'est. Deux autres bonhommes, des italiens, arrivent et partent derrière nous pour le sommet. Nous serons les seuls à aller nous y frotter ce jour-la. L'équipe de français qui était parti en même temps que nous a vraisemblablement tourné les talons. Juste au-dessus du bivouac, le raide névé qui nous avait obligé à chausser les crampons, trois ans auparavant, n'est plus qu'un petit bout de neige molle, que nous traversons comme ça. Au-dessus, l'immanquable balisage de la voie nous aiguillonne dans le dédale du rocher. Ce n'est pas très dur, quelques pas d'escalade, simples, un sentier un peu raide au milieu des rochers. Au-dessus de nos têtes, le temps ne s'améliore pas comme aurait pu le laisser penser le coin de bleu que nous apercevions. Au contraire. La grisaille descend irrémédiablement. À 200 mètres du sommet, nous rattrapons le brouillard. À moins que ce soit lui qui nous rattrapa. Étienne se retourne d'un coup, et me dit que ça ne lui dit pas particulièrement d'aller au sommet dans ces conditions. C'est vrai que dans la purée de pois, le panorama risque d'être assez limité. Si près du but je fus un peu surpris, brouillard ou pas, j'y serais bien allé. D'un autre côté, ça se dégrade, Anne attend toute seule en bas, il est effectivement plus sage de faire demi-tour. Ce que nous faisons. Plus bas, nos poursuivants ont l'air d'en baver un peu. Surtout le deuxième qui se demande ce qu'il fout là. Bref, nous continuons la descente. Le brouillard ne nous lâche pas. Bientôt il se met à pleuvoir. Encore. Sauf que là, le rocher devient glissant, il faut redoubler de prudence. Nous avons bien fait de tourner les talons. Nous rejoignons Anne au bivouac, dans lequel nous entrons une fois de plus tout dégoulinant. Anne, quant à elle, patientait sous cinq ou six couvertures, elle poursuivait sa courte nuit... Notre irruption la réveille. Petite colation. Puis nous décidons de poursuivre la descente. La pluie est fine, autant en profiter.


Refuge salvateur.


Nous amorçons la descente, en faisant gaffe à chaque pas tant les pierres, déjà instables, sont rendues glissantes par la pluie. Alors que le bivouac allait disparaître de notre vue, j'aperçois les deux italiens qui y arrivent. Ouf. Y'aura pas besoin de déclencher les secours une fois au refuge. Eux non plus ne seront pas allés au sommet : ils se sont pris la neige... Nous descendons doucement, mais sûrement. La pluie cesse vite. Les rochers sèchent rapidement. Ouf. La descente de la brèche des Sagnettes n'en sera que facilitée. Ceci étant, la petite via ferrata est beaucoup moins impressionnante de jour que de nuit. Nous regagnons le refuge avec le brouillard sur nos talons. Brouillard qui nous confinera à l'intérieur. Pas moyen d'aller marcher un peu aux alentours. Anne et Étienne dégotent un jeu de cartes. Nous jouerons aux cartes jusqu'à l'heure de la soupe. Chaque fois que nous tentons une sortie, un mur blanc nous reflète notre propre image et nous renvoit vers l'intérieur.

Temps pourri.


Après manger, nous terminons la soirée en jouant aux cartes. Comme la veille, ce sera au lit à 21h30. Le lendemain, pas d'impératif de réveil, ce sera grasse mat' jusqu'à 7h00. Les boules quiès m'assurent une bonne nuit. Anne et Étienne subissent quant à eux les ronflements de nos voisins. Et peu après 6h30, ce n'est pas la montre qui nous réveille, mais bel et bien le groupe de français qui partagent notre dortoir et se lèvent avec perte et fracas. Sans la moindre parcelle de considération pour les autres dormeurs. Anne apprécie moyennement la plaisanterie. Bande de sauvages ! Un troupeau d'éléphants aurait été plus discret.

Vendredi 12 Août 2005

Nous déjeunons et nous nous préparons tranquillement. Y'a pas le feu. Aujourd'hui, nous bouclons le tour du Viso, pas d'acrobaties en perspective, mais en revanche, pas mal de kilomètres et de dénivelés. Il fait plutôt beau. Le sommet émerge des nuages. Ceux qui l'ont tentés doivent y être ou en être proches. Ça fait un petit pincement au cœur, mais c'est comme ça. D'un autre côté, avoir été quasiment tout seuls sur la grande montagne , la veille, c'était quelquechose.

Le Soleil se lève, timidement, mais sûrement.


Nous descendons dans la vallée de Vallante par le chemin du tour classique du Viso qui passe par le col San Chiaffredo. Très joli chemin, d'abord dans les cailloux (on n'en sort pas), puis dans la forêt, une belle cembraie. Une forêt de pins cembro a toujours quelquechose de magique, pins d'un vert très foncé, à la carrure trapue, comme pour pouvoir survivre aux innombrables chutes de neige qu'ils doivent subir, aux aiguilles longues, souples et si douces. Et ces cônes aux écailles si grosses, qui une fois dégustés par les casse-noix, deviennent de véritables œuvres d'art...


Petite pause en fond de vallée auprès du torrent à coté d'une ruine envahie par les orties, avant de remonter vers le col de Vallante. Une superbe vallée, aux alpages verdoyants, au fond de laquelle coule un impétueux torrent. Quelques ruines, superbes, qui ploient sous le poids des ans et leur toit de lauzes. Plus loin un troupeau de vaches, un berger qui crie quelques ordres à son chien qui se charge de rassembler le troupeau à coup de crocs dans les jarrets des pauvres bêtes apeurées.


Le refuge Vallante est en vue. Étienne et moi allongeons le pas. On se « tire la bourre ». Nous attendrons Anne devant le refuge. À son arrivée, nous dégottons une place dans l'herbe au bord du lac, pour casser la croûte. Tranquilles, peinards. Rassasiés, nous poursuivons notre ascension jusqu'au col de Vallante. Une petite heure. Le sentier serpente dans un parterre d'edelweiss. Au col, ce sont des bouquetins qui nous accueillent. Royal. C'est incroyable comme les bouquetins ne sont pas farouches : on peut s'en approcher relativement facilement. Un peu plus loin c'est une petite hermine qui court comme le vent sur les rochers. Spectacle fugace mais Ô combien délectable !


Baromètre.


S'ensuit la dernière étape, une longue, longue, longue descente jusqu'à la voiture... Descente du col dans les cailloux (encore ?), puis sentier plus ou moins plat, mais long (long, long). Alpages, route, forêt, et, finalement, parking, voiture, la fin, quoi...


Dernière vision. La star fait la timide...


Publié dans montagne

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C
ces images de montagnes, me font penser au tour du mt Blanc que j'ai fais cette année au mois de juin, ma préférence va aux paysages Suisse et Italien,
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C
je suis parti cette année faire en rando, le tour du mt Blanc(France , Suisse, Italie), <br /> avec la cie des guide de Chamonix, <br /> c'était super! un peu dur les 3 1er jours, le temps de s'habituer à l'alttitude,<br /> j'ai préférer les paysages Suisse, et Italien, <br /> un classique qui vaut le coup...
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P
Superbes photos (notamment celles du temps pourri, j'adore). Quand à la balade, rando, trek, ascension, (je ne sais plus quels termes il faut utiliser maintenant), ça a l'air carrément magnifique, tout comme toutes les autres dont tu fais pars sur ton site. Génial
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G
En effet, le Viso est presque plus joli quand on prend un peu de recul : le triangle massif n'en est que plus majestueux, plus magnifique !<br /> <br /> Pas de panique, la photo rend la chose raide et delicate, en "vrai", c'est moins "pire" !<br /> <br /> Guillaume
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C
nous, en Catalogne, c'etait pas "salve" ou "ciao" mais "holà"! à tous les randonneurs croisés... meme combat!
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