Le cas de Sophie K.

Publié le par Guillaume

La semaine dernière nous étions au Théatre National de Chaillot pour voir le dernier spectacle de Jean-François Peyret, « le cas de Sophie K. ». Tout cela serait resté complètement noyé dans la jungle des spectacles parisiens si deux de mes magazines préférés, Tangente, qui traite de la mathématique pour les béotiens, d'une part, et La Recherche, qui parle de la science en général, d'autre part, ne s'en faisaient l'écho reprenant à l'occasion le thème pour en discourir. Le thème, c'est l'histoire d'une mathématicienne russe de la deuxième moitié du XIXème siècle, Sophie Kowalevski (1850-1891). Une femme remarquable, qui devint la première femme professeur de mathématiques dans une université. Une femme qui s'est également intéressée à la littérature, elle écrivit quelques romans, et qui s'est engagée politiquement pour un certain nombre de causes, en particulier l'émancipation des femmes. Un spectacle mêlant art et science, ce n'est, a priori, pas pour me déplaire.

Les universités russes étant fermées aux femmes, la seule solution de Sophie Kowalevski pour faire des études était de partir à l'étranger ; et pour ce faire de contracter un mariage blanc. Ce qu'elle fit. Elle obtint son doctorat de mathématiques en Allemagne, en 1874, sous la direction de Karl Weierstrass, le père de l'analyse moderne. Dans sa thèse, trois mémoires, dont le plus important est la démonstration de ce qui est restée à la postérité sous le nom de théorème de Cauchy-Kowalevski, qui établit, sous des conditions de régularité, l'existence et l'unicité de solutions d'équations aux dérivées partielles. Elle côtoie les plus grands mathématiciens européens de l'époque. Elle terminera sa trop courte carrière de mathématicienne par l'étude du mouvement d'un corps solide autour d'un point fixe. Une toupie qui tourne autour d'un axe, dont les équations du mouvement sont très compliquées à résoudre. Euler et Lagrange avaient déjà trouver des solutions pour deux cas « simples ». Sophie Kowalevski obtint des solutions pour le troisième cas « simple » qui puisse exister, désormais connu sous le nom de cas de Kowalevski. Pour ce travail elle obtint le prix Bordin de l'Académie des Sciences de Paris. La plus haute récompense jamais accordée à une femme. Et de postes précaires, en situations précaires - pas facile d'être une femme ! -, de Heidelberg à Berlin, de Paris à Stockholm, elle finit par avoir une chaire à l'université de Stockholm en 1889. Il faudra attendra 1938 pour qu'un tel poste soit donné à une femme en France ! Malheureusement elle ne put profiter de sa nouvelle carrière que deux ans, puisqu'elle meurt en 1891 des suites d'une grippe.

Comme l'explique Jean-François Peyret dans Tangente, le spectacle auquel il a donné naissance autour de cette femme hors pair, est né en 2004 lorsqu'a été publié en France le roman de Sophie Kowalevski, « Une nihiliste ». Spectacle qui fut l'occasion de (re)mettre au goût du jour les multiples talents de cette femme de science. Des conférences ci et là, des articles à droite à gauche. Reste que le spectacle en lui-même est quelque peu space, pour employer, une fois n'est pas coutume, un anglicisme, qui semble mieux coller à la chose que ne le ferait n'importe quel adjectif français (parce que abscon, moderne, contemporain... ne traduisent pas, chacun séparément, ce que l'ensemble évoque !). Il est à mon avis préférable d'avoir lu auparavant la biographie de la belle pour capter un soupçon de quelquechose. Encore que. Trois ravissantes comédiennes interprètent Sophie K., sous différentes facettes de sa personnalité. C'est un spectacle résolument moderne, avec emploi de la vidéo et de la projection au milieu du jeu des acteurs. Je n'y ai trouvé ni queue ni tête, mais peut-être n'ai-je pas abordé la chose suffisamment reposé pour apprécier le tout dans sa chronologie. Et si le début m'amusait plutôt, avec ces acteurs qui se retrouvaient filmés et projetés sur un écran au fond de la scène, avec ce pianiste qui accompagnait leurs élucubrations d'une main de maître, j'avoue avoir même quelque peu somnolé dans une deuxième partie un peu soporifique, m'a-t-il semblé. La fraîcheur des applaudissements finaux semblait démontrer que je ne fus pas le seul a être resté dans une aura d'incompréhension... Peut-être que le sujet aurait mérité mieux. Parce que broder une œuvre d'art moderne, donc incompréhensible par essence pour qui n'est pas initié, sur un thème scientifique pas des plus accessibles - la mathématique -, n'est pas forcément la clef d'un succés garanti ! J'imagine que trop bien le sentiment général au sortir du spectacle, comme quoi, décidément, les maths, qu'est-ce que c'est abscon ! Mais tout dépend de la façon d'expliquer... Parce que des fois, l'art, je vous dis pas !

À défaut d'avoir su pénétrer dans toute l'abstraction de son art dramaturgique, ce spectacle aura au moins été un superbe prétexte pour me faire découvrir la vie d'une femme exceptionnelle !

Publié dans science

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